On vous a proposé de participer à une réunion

- Un de vos proches a adhéré au système, vous souhaitez le convaincre d'y renoncer, voire de porter plainte,
- Vous y avez adhéré, vous vous posez des questions, vous voulez témoigner de votre expérience,
- Vous n'en avez jamais entendu parler, vous êtes curieux...

Avertissement

Les textes et les schémas du blog ANTICERCLES sont libres de droit mais ne peuvent être reproduits, même partiellement, qu'avec l'autorisation expresse de leur auteur, qui peut être contacté en consultant la rubrique "Qui sommes-nous ?"

Comment l'Albanie a sombré dans le désordre social

Cet article est nécessairement un résumé de l'histoire des pyramides financières en Albanie. Il n'a pour ambition que d'expliquer simplement à des non-spécialistes en quoi la crise albanaise illustre le danger de tout système pyramidal. Le contexte géo-politique sur ces événements est infiniment complexe, et nous incitons les lecteurs qui voudraient approfondir le sujet à consulter des ouvrages plus complets sur l'histoire contemporaine des pays concernés.


Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. Cet événement est pour les populations des pays de l'Est un espoir fou d'entrer dans une nouvelle ère de liberté. A tort ou à raison, ceux qui lorgnaient depuis toujours vers l'occident avaient soif de profiter de la société de consommation. Pendant la réunification des 2 Allemagne, la plupart des pays du bloc soviétique proclament leur indépendance et organisent des élections libres. Certains tireront assez bien leur épingle du jeu, comme la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie. Ce ne sera pas le cas de tout le monde, car d'autres mettront beaucoup plus de temps à se relever.

Après l'ouverture des frontières, l'occident découvre médusé l'état de délabrement des infrastructures routières et ferroviaires, des bâtiments publics, écoles, hôpitaux, laissés le plus souvent à l'abandon. L'économie soviétique avait atteint ses limites, et tout était à reconstruire.
Les investisseurs étrangers se ruent dans cette brèche pour apporter leur savoir-faire et leurs capitaux. Mais seuls les pays qui avaient déjà su s'affranchir des règles de Moscou, et surtout qui ont réussi à instaurer un régime politique plus ou moins stable vont en bénéficier. Ceux qui étaient sous l'emprise d'une dictature dure auront beaucoup plus de mal à s'en remettre.

C'est dans ce contexte que les sociétés pyramidales font leur apparition. En Russie, en Pologne, en Bulgarie, en Roumanie… et surtout en Albanie.

L'Albanie était le pays le plus fermé des Balkans, coupé du reste du monde après la rupture d'Enver Hoxha (ou Hodja) avec la Russie, puis avec la Chine. C'était aussi certainement le plus pauvre avec un taux de chômage qui avoisinait les 40 % dans les années 90. Les Albanais n'ont aucune idée de ce qu'est l'économie de marché, or la situation économique est désastreuse.

Des sociétés financières véreuses – dont la plupart ont des ramifications avec les mafia italiennes - s'implantent dans le pays et promettent aux populations des taux d'intérêts très élevés, de l'ordre de 30 % pour placer leurs maigres économies. Au début, les promesses sont tenues, ce qui a pour effet d'attirer de plus en plus d'épargnants, sous l'œil indifférent, pour ne pas dire complaisant, du gouvernement. Environ 80 % des foyers albanais apportent le peu qui leur reste à ces sociétés financières, voyant là le moyen de se sauver de la ruine. L'argent envoyé par leur famille émigrée en Grèce ou en Italie est englouti dans ces placements, on a même vu des paysans descendre de leurs campagnes avec leurs troupeaux pour les revendre et placer l'argent !

Où est le problème direz-vous, puisque les épargnants sont rémunérés ? Le problème est qu'ils ne sont pas rémunérés par les investissements faits par ces sociétés, mais tout simplement avec l'argent des futurs arrivants. Les sociétés financières ne mettent pas un sou dans l'affaire et ne font pas fructifier l'argent reçu, ils se contentent de surfer sur la vague du succès provoqué par le bouche à oreille. Ainsi, les premiers arrivés sont les premiers servis, mais très rapidement, la population de l'Albanie n'étant que de 3,5 millions d'habitants, la source de nouveaux épargnants se tarit, et les sociétés ne peuvent plus honorer leurs promesses. S'ensuit une surenchère : pour sauver leur business, les sociétés financières appâtent de nouveaux crédules avec des taux de 50, voire de 100 % par mois, ce qui finira par accélérer la chute des pyramides.

Les gouvernements occidentaux avaient tiré la sonnette d'alarme en vain, mais les autorités de Tirana avaient fait la sourde oreille. Quand elles se réveillent, il est trop tard. Les sociétés financières se sont évaporées, ne restent que des Albanais floués et en colère. Malgré les tentatives du gouvernement de rassurer les populations et de promettre que les responsables seraient punis, le pays s'achemine vers la guerre civile.

Des émeutes feront près de 2000 morts. On évacue les étrangers, et l'Italie doit faire face à un afflux de réfugiés albanais qui fuient leur pays plongé dans le chaos. Le gouvernement de Sali Berisha n'y résistera pas. Ce n'est qu'en 1998 que le pays, aidé par la communauté internationale, parviendra à se relever de cette crise.

Voilà rapidement résumée l'histoire des pyramides albanaises, pour mieux comprendre nous renvoyons à l'excellent article de Christopher Jarvis, économiste du FMI (Fonds Monétaire International) ainsi qu'au Monde Diplomatique et à un rapport du Sénat de 1997.

Quel rapport avec les cercles de dons en France ? Pour qui s'intéresse de près au phénomène, la découverte de la grave crise albanaise – dont très peu de médias européens se sont fait l'écho à l'époque – présente de troublantes similitudes.

Non pour convaincre les adeptes qui soutiendront toujours que leurs cercles n'ont rien à voir avec des pyramides, mais pour éclairer les personnes qui ont saisi que la croissance exponentielle des cercles et l'absence de création de richesses relèvent du même mécanisme, nous avons tenté de faire un parallèle entre les deux.

La population de l'Albanie ignorait tout du fonctionnement de l'économie de marché. C'est aussi vrai, dans la plupart des cas, pour les participants aux cercles de dons.

Les Albanais étaient fragilisés par la situation économique dans leur pays : taux de chômage élevé, niveau de vie faible, d'où une envie irrépressible de croire aux chimères pour améliorer l'ordinaire. Cet état d'esprit est aussi celui de la majorité des personnes qui se laissent tenter par l'aventure des cercles.

Les Albanais aveuglés par l'argent facile ne cherchent pas à savoir comment de tels rendements sont possibles. Là encore, cela concerne les participants aux cercles, à cette différence près qu'en France en 2008 l'accès à l'information est beaucoup plus facile que ça ne l'était en 95 en Albanie.

Les dirigeants des sociétés pyramidales étaient des gens peu scrupuleux, qui n'hésitaient pas à attirer les épargnants sous couvert de sociétés caritatives plus ou moins opaques. La Fondation Sude était dirigée par une voyante extra-lucide, en Roumanie Ion Stoica se fait appeler "le Messie" et baptise sa société du nom de Caritas, qui est aussi celui d'une association catholique. En France, les adeptes des cercles se trouvent rassurés par des pseudo thérapeutes dont les méthodes sont très discutables, et les recrutements vont bon train dans les milieux ésotériques.
Ces sociétés avaient les mains libres aussi grâce à l'apathie des pouvoirs publics, et on pourrait dire que c'est un peu la même chose chez nous, pour preuve les tentatives désespérées de certains d'alerter la Répression des Fraudes ou le Parquet et qui ont reçu une réponse laconique de leur part.

La force de l'exemple : dans les deux cas, les nouveaux "investisseurs" sont confortés par la vision de ceux qui ont gagné, et qui ont même réinvesti, ne comprenant pas que plus nombreux ils seront, plus vite arrivera la chute. D'ailleurs, on constate aussi une similitude dans la durée. Deux ans, c'est environ le temps qu'il aura fallu aux sociétés pyramidales albanaises pour s'écrouler, alors qu'en France on constate actuellement le blocage des bulles qui ont fait leur apparition fin 2006.

Ainsi, les événements en Albanie paraissent la parfaite démonstration de ce qui se passe si on pousse le système à l'extrême.